1°) Le ministère de la délivrance
a) Les urgences actuelles
Beaucoup de nos jeunes sont touchés par différents aspects d’une culture de mort. Beaucoup de jeunes sont blessés par les circonstances si difficiles de la vie: familles éclatées, blessures de l’enfance qui parfois commencent dès le sein maternel. Beaucoup de jeunes sont séduits et sollicités par de nombreuses pratiques occultes, par la participation à des expériences nouvelles inconnues, etc… Beaucoup de jeunes sont victimes d’une ascendance lourde dont ils portent les conséquences, mystérieusement, selon la loi de l’hérédité en présentant des symptômes spécifiques. Beaucoup de jeunes souffrent de maux qui peuvent parfois prendre l’allure de troubles psychologiques, mais que la médecine n’arrive pas à soigner ou à soulager.b) Des réponses insuffisantes
Les personnes compétentes sont trop peu nombreuses. Le renouveau charismatique est débordé par les demandes et ne peut répondre de façon personnalisée à toutes les demandes, d’où les sessions collectives ou les retraites de guérisons. Les centres d’accompagnement de tous genres donnent leur rendez-vous souvent un an à l’avance et ne peuvent répondre dans l’urgence.2°) La formation
a) La carence
Il n’existe que peu de centres de formation philosophique ou théologique, hormis des sessions organisées épisodiquement sur tel ou tel thème particulier par divers groupes. Ces formations sont plus du type « information » que formation. Il n’existe pratiquement pas de théologie de la délivrance qui soit réfléchie à partir de l’ecclésiologie et intégrant les problèmes nouveaux comme la médiumnité, les phénomènes paranormaux, etc…b) Les publications
Presque toutes les publications sont écrites à partir d’expériences et de témoignages. Très peu font une véritable théologie de la délivrance. Il y a une inadaptation de la réponse offerte à cause des problèmes nouveaux qui sont rencontrés aujourd’hui et à cause de la demande qui est toujours plus grande.3°) La réponse de l’I.A.D.
a) Les urgences
L’I.A.D. n’a pas pour vocation de recruter de nouveaux ministres chargés de la délivrance. L’I.A.D., n’a pas la prétention d’être un lieu de réponse immédiate, mais d’être un lieu de formation pour ceux qui ont à répondre immédiatement.b) Les réponses
Il ne s’agit pas de faire concurrence à ce qui existe déjà, mais d’être un outil supplémentaire qui veut répondre aux demandes nouvelles d’aujourd’hui et approfondir la réflexion: problèmes de médiumnité, de portes ouvertes etc… à partir d’une anthropologie théologique apte à discerner les problèmes nouveaux qui se présentent.1°) Une association loi 1901
L’association a été fondée dans les années 1990 pour répondre aux urgences d’abord par la réflexion théologique. La structure de l’association est suffisamment légère pour ne pas peser sur ses membres.
2°) Les membres
Ce sont des exorcistes, des prêtres engagés dans le ministère de la délivrance, des laïcs accompagnateurs ou thérapeutes. D’autre part, ce sont aussi des témoins qui ont subi ces maux et ont trouvé une réponse, une guérison, une libération.
3°) Les activités
Elles se résument essentiellement aux colloques organisés par l’association tous les deux ans. Ces colloques sont des moments de réflexion théologique, d’échanges d’expériences et d’informations, de rencontres fraternelles, de célébrations liturgiques, mais en aucun cas des lieux où s’exercent les différents ministères touchant la délivrance.
Dieu ne supprime pas toujours le mal et, du mal, il peut tirer un bien. La prière de délivrance est à situer dans ce gouvernement de Dieu par rapport au mal qui accable l’homme. A chaque prière du « Notre Père », le chrétien demande d’être délivré du mal. Mais la prière de délivrance prend d’autres formes, notamment la prière impérative telle que l’exorcisme ou une prière de supplication en accompagnement de la personne qui souffre. C’est en fonction du mal dont il faut être délivré et en coopérant avec le gouvernement de Dieu que l’on discerne la prière à utiliser.
La prière de délivrance englobe d’abord celle que Jésus enseigne dans le « Notre Père (1) », puis celles qu’il enseigne pratiquement par les exorcismes (2), les guérisons de toutes sortes et si nombreuses (3), celles qu’il nous apprend par l’explicitation qu’en fait l’Eglise dans les sacrements que le Christ a institués, spécialement dans le sacrement de la pénitence, ou enfin celles que l’Eglise a mises en lumière dans certaines prières dites de délivrance. Si les prières les plus connues et les plus fréquentées par les fidèles sont l’oraison dominicale et les sacrements, la plus cachée et rare est l’exorcisme, la plus récente et encore en développement est celle que pratiquent certains groupes de prière, spécialement dans le renouveau charismatique, appelée prière de délivrance ou de libération.
Il est évident que ces différentes prières n’ont pas le même but immédiat, mais elles ont le même but final, à savoir la sainteté. Cependant le mal et l’influence possible du démon aboutissant à des aliénations spécifiques, la demande de délivrance se fait en fonction de cette spécificité (4).
C’est pourquoi aussi la prière du « Notre Père », qui demande la libération du mal sans autres précisions, enveloppe toutes les autres et les finalise toutes. C’est dans cette lumière que toutes les autres prières de délivrance doivent être regardées et faites. Nous ne pouvons nous intéresser à toutes ces prières, mais nous allons en chercher l’esprit en abordant la demande du « Notre Père ». Puis dans cette lumière nous regarderons la prière de l’exorcisme, et enfin la prière dite de délivrance.
Notes:
1 – Lc 11, 2-4 et Mt 6, 9-13. La mention de la délivrance du mal ne se trouve qu’en Mt : « … mais délivre-nous du mal ».
2 – On peut compter cinq exorcismes de Jésus dans les synoptiques : Mt 8, 28-34 (et par. : Mc 5, 1-20 ; Lc 8, 26-38) ; Mt 9, 32-34 et 12, 22-24 (et par. : Lc 11, 14) ; Mt 15, 21-28 (par. : Mc 7, 24-30) ; Mt 17, 14-20 (et par. : Mc 9, 14-29 ; Lc 9, 37-42) ; Mc 1, 23-28 (et par. : Lc 4, 33-36). L’épisode de la femme courbée en Lc 13, 10-17 est bien une délivrance du démon, mais pas par exorcisme.
3 – Pas moins de 34 fois apparaissent les guérisons opérées par Jésus dans les évangiles, certaines se recoupant bien sûr.
4 – Saint Thomas d’Aquin, Le Pater et l’Ave, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1967, n° 88 : « Cette demande est générale. D’après saint Augustin, elle vise les différentes espèces de maux, à savoir les péchés, les maladies, les afflictions ». Rappelons que si le démon est cause immédiate et prochaine de certains maux, il est la cause lointaine morale de tout mal : Saint Thomas d’Aquin, Catena aurea, Mt 6, 13, tome I, Rome, Marietti, 1953, chap. VI, n° 10 : « Le nom de mal désigne ici le démon à cause de sa malice extrême, malice qui vient de sa volonté et non de sa nature ».
L’oraison dominicale : « Délivre-nous du mal »
Délivré et non libéré de tout, en cette vie…
Saint Thomas d’Aquin interprète l’expression « Délivre-nous du mal » sans jamais parler de suppression du mal. La délivrance du mal consiste plutôt à le supporter, non seulement pour ne pas en subir une conséquence dramatique au plan de la vie surnaturelle – celui de perdre le lien avec le Père du Ciel par le désespoir qu’engendrerait la souffrance -, mais encore parce qu’il y a un bien à en tirer. Pour le docteur angélique, Dieu délivre l’homme du mal de quatre manières. La première manière est de ne pas l’affliger par exemple, si Dieu juge qu’il ne peut supporter cette épreuve (5). Il ne s’agit donc pas de supprimer le mal, mais de faire qu’il n’apparaisse pas, par miséricorde. En second lieu, Dieu délivre l’homme du mal en l’aidant à le supporter par le don de ses consolations (6). La délivrance consiste donc à empêcher que le mal accable l’homme de sorte qu’il ne puisse plus le porter et qu’il soit tenté de révolte par exemple. Les consolations de Dieu allègent la douleur de l’ affliction. En troisième lieu, Dieu délivre l’homme du mal en le lui faisant oublier par l’octroi de ses bienfaits (7). Enfin, Dieu délivre l’homme du mal en en tirant du bien (8).
Cette dernière manière est la plus élevée, car elle finalise directement la prière de demande. Aussi relève-t-elle du don de l’Esprit Saint le plus élevé, le don de sagesse:
Dieu donc délivre l’homme du mal et de la tribulation, en transformant tribulation et mal en bien; ce qui est le signe de la plus grande sagesse car il appartient au sage d’ordonner le mal au bien. Cela se fait par la patience que nous avons dans les tribulations. Les autres vertus se servent du bien mais la patience du mal […]. Et c’est pourquoi l’Esprit Saint nous fait demander la délivrance par ce don de sagesse: et par lui nous parvenons à la béatitude à laquelle ordonne la paix, parce que par la patience nous avons la paix dans les moments de prospérité ou d’adversité: et c’est pourquoi les pacifiques sont appelés fils de Dieu, semblables à Dieu parce que rien ne peut nuire à eux comme à Dieu, ni la prospérité, ni l’adversité (9).
Notes:
5 – Saint Thomas d’Aquin, Le Pater et l’Ave, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1967, n° 89 : « En premier lieu, Dieu libère l’homme de l’affliction, en faisant qu’elle n’arrive pas pour lui ».
6 – Ibid., n° 90 : « Privé de ces divines consolations, l’homme ne pourrait subsister au milieu des épreuves »
7 – Ibid., n° 91 : « En troisième lieu, Dieu comble les affligés de tant de bienfaits qu’ils en viennent à oublier leurs maux ».
8 – Ibid., n° 92 : « En quatrième lieu, Dieu transforme en bien tentations et tribulations ».
9 – Ibid., n° 92 et 93.
La Croix, source de toute libération
Toute l’économie de la Croix est présente dans cette ultime manière d’être délivré du mal, celle de l’oraison dominicale. La Croix est bien le lieu du salut, de la libération totale du mal (10). La grâce chrétienne donne au croyant la capacité d’être uni au Christ crucifié et de participer à cette victoire sur le mal qui n’est pas la suppression de tout mal en cette vie (11), mais qui obtient le pardon du péché (12). Le reste du mal est porté en cette vie, en étant dépassé par l’amour du Père. Ce n’est pas le lieu ici d’expliciter ce mystère de la Croix, mais il est bien la grande lumière sur la libération de tout mal.
La manière sapientiale d’être délivré du mal est donc d’être uni à Jésus crucifié qui nous communique sa propre victoire sur le mal, ici-bas sur le mal du péché, et dans la vie future sur le reste du mal (13).
Cependant, dans sa vie apostolique, Jésus a délivré une foule de personnes (14) de multiples maux, en les supprimant, sans exiger d’elles de les supporter. Une partie de ces délivrances consistait à commander au démon de « sortir » des possédés. Etait-ce parce qu’ils ne pouvaient pas supporter ce mal, comme le théologien l’affirmait dans la première explication de la prière dominicale ? Comment comprendre ces prières d’exorcismes du Christ?
Notes:
10 – He 9, 22 : « Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission » et Jn 16, 11 : « Et Lui [le Paraclet], une fois venu, il établira la culpabilité du monde en fait de jugement […] parce que le prince de ce monde est déjà jugé ».
11 – Rm 8, 17 : « Nous sommes enfants de Dieu, […] héritiers de Dieu et co-héritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui pour être glorifiés aussi avec Lui ».
12 – Rm 6, 11 : « Et vous de même, considérez que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu dans le Christ Jésus ».
13 – Jn 3, 14-15 : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme, afin que quiconque croit ait en lui la vie éternelle ».
14 – Mt 8, 16-17 : « Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques ; il chassa les esprits d’un mot, et il guérit tous les malades, afin que s’accomplit l’oracle d’Isaïe : « Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » »
La prière de l’exorcisme
Nous recevons dans la foi ces gestes de Jésus qui exorcise les possédés (15). La manière sapientiale d’être libéré du mal dans la lumière de la Croix nous met tout de suite face à la question du pourquoi de l’exorcisme: quelle est la sagesse de Dieu liée à ce geste? Si, face au mal, la sagesse consiste à le supporter en étant uni à la Croix, pourquoi cette gratuité dans les gestes de libération du Christ? Cela nous mettra aussi face à la question du discernement au plan pastoral: quel est le bien de la brebis du Christ? Que convient-il de faire pour aider le chrétien selon l’intention du Christ sur lui?
Notes: 15 – Notons que saint Jean n’en rapporte aucun, même lorsque Satan entra en Judas lors de la Cène. La seule parole de saint Jean au sujet de la libération se trouve en 8, 32 : « […] la vérité vous libèrera ». Pour saint Jean l’ultime témoignage à la vérité est la Croix : Jn 18, 37. Judas refuse la Croix et pour cette raison ne peut être libéré ni délivré.
Pourquoi l’exorcisme (16) ?
Le signe de la victoire du Christ
Jésus affirme très nettement le pourquoi de ce geste face aux Juifs : « Mais si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est survenu pour vous (17) ». De la même manière, il recommande au possédé de Génésareth qui voulait le suivre après sa délivrance, de rapporter auprès des siens tout ce que le Seigneur avait fait pour lui dans sa miséricorde (18). Il s’agit donc d’une miséricorde signe d’autre chose (19), c’est-à-dire d’une libération plus intérieure, celle du péché et de ses conséquences, grâce au règne de Dieu qui est survenu. Le premier bénéficiaire de ce signe est le possédé lui-même, non seulement parce qu’il est délivré, mais aussi parce qu’il veut suivre le Christ. Le Seigneur le lui permet, non pas matériellement, mais en devenant témoin de la venue du règne de Dieu.
Ce signe ordonné à la conversion n’est pourtant pas un charisme – bien qu’il puisse y avoir un charisme de délivrance -, parce que Jésus confie ce ministère à ses Apôtres (20) dans le cadre de leur sacerdoce. Jésus l’a également confié aux soixante-douze dans le cadre de leur mission (21). Pourtant, l’histoire de l’Eglise montre à travers les pères du désert que l’exorcisme a été pratiqué par des moines non clercs et même par des laïcs (22). Cela nous obligera à préciser la vertu de l’exorcisme (23).
Parce que la finalité de l’exorcisme est d’être un signe efficace de l’avènement du règne de Dieu, en premier lieu, pour celui qui en bénéficie, cette prière de délivrance peut être appelée sacramental (24). Le commandement efficace donné au démon avec l’autorité du nom du Christ est pour celui qui en bénéficie le signe de la victoire de Jésus. L’adhésion à cette victoire dans la foi est aidée par le don de ce signe. Le propre du sacramental est d’aider la foi de celui qui bénéficie du sacramental à être plus fervente grâce au signe. L’efficacité du commandement fait donc aussi partie du signe. C’est pourquoi l’exorcisme est proche du sacrement de la nouvelle Alliance en raison de son efficacité, mais il s’en éloigne du fait qu’il ne donne pas la grâce mais qu’il écarte seulement des obstacles. On pourrait presque dire que l’exorcisme est un sacramental de l’espérance. Un signe efficace est donné qui fait renaître le désir. De plus, la délivrance du démon est signe (non efficace) de la libération intérieure du péché. Dans cette perspective, l’exorcisme est le sacramental ordonné au sacrement de pénitence.
Notes:
16 – Sur la question de l’exorcisme, on lira avec profit de Marc Antoine Fontelle, Accueillir aujourd’hui l’exorcisme, Paris, Téqui, 1999, ainsi que les livres de l’International Association for Delivrance (I.A.D.) : La délivrance et l’exorcisme (2001), La prière de délivrance et d’exorcisme. Face aux défis actuels du démon (2003), La prière de délivrance et d’exorcisme. Le discernement (2005), La prière de délivrance et d’exorcisme. La sorcellerie en Afrique (2006), livres édités à Saint-Benoît-du-Sault, Ed. Bénédictines ; voir enfin du père René Chenesseau, Journal d’un prêtre exorciste, Saint-Benoît-du-Sault, Ed. Bénédictines, 2007.
17 – Lc 11, 20.
18 – Mt 5, 19.
19 – Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique (désormais abrégé ST), III, q. 71, a. 3 : « Les rites de l’exorcisme écartent un double obstacle qui s’oppose à la réception de la grâce du salut. De ces obstacles, l’un est extérieur : c’est le démon qui s’efforce d’empêcher le salut de l’homme […] L’autre obstacle est intérieur, en ce sens que empoisonnés par le péché originel, nos sens sont fermés à la réception des mystères du salut ».
20 – Mt 10, 1 : « Ayant appelé à lui ses douze disciples, Jésus leur donna pouvoir sur les esprits impurs, de façon à les expulser et à guérir toute maladie et toute langueur ».
21 – Lc 10, 19 : « Voici que je vous ai donné pouvoir de fouler aux pieds serpents, scorpions, et toute la puissance de l’ennemi et rien ne pourra vous nuire ». Jésus répondait aux soixante-douze qui se réjouissaient de ce que les démons leur étaient soumis dans le nom de Jésus.
22 – Saint Justin, Deuxième Apologie, VI, 5, 6 : « Il y a dans l’univers et dans notre ville nombre de démoniaques que les autres exorcistes, enchanteurs, magiciens n’ont pu guérir ; et que nombre d’entre nous, chrétiens, en les adjurant au nom de Jésus Christ crucifié sous Ponce Pilate, ont guéris et guérissent encore maintenant, réduisant les puissances, expulsant les démons qui possèdent les hommes ».
23 – ST, III, q. 71, a. 3 : « Certains disent que les exorcismes n’ont aucune efficacité, mais ne sont que des signes. Mais cela est évidemment faux, puisque l’Eglise, dans les exorcismes, use de paroles impératives pour chasser la puissance du démon ».
24 – C’est ainsi que le droit canon « classe » l’exorcisme, cf. canon 1172. Voir aussi ST, III, q. 71, a. 3, ad 2 : « Il est de la nature du sacrement de produire son effet principal, la grâce, qui remet la faute ou supplée à quelques défauts. Mais cela les exorcismes ne le font pas ; ils ne font que supprimer les obstacles. Aussi ne sont-ils pas des sacrements, mais seulement des sacramentaux ».
Un signe efficace
L’exorcisme est un commandement qui suppose une autorité. Cette autorité peut être institutionnelle ou de fait. Le Christ comme Verbe fait chair a toute autorité (25):
Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée, et il les enseignait le jour du sabbat. Et ils étaient frappés de son enseignement, car il parlait avec autorité. Dans la synagogue, il y avait un homme ayant un esprit de démon impur […] Et Jésus le menaça en disant: « Tais-toi, et sors de lui » […] La frayeur les saisit tous, et ils se disaient les uns aux autres: « Quelle est cette Parole? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs et ils sortent (26) ! »
Jésus a délégué cette autorité (27) à ses Apôtres et aux soixante-douze. Pour un chrétien laïc, l’autorité est celle de la sainteté de son sacerdoce royal qui le lie au Christ et spécialement au Christ crucifié, victorieux de tout mal. L’autorité déléguée est celle de l’institution et celle-ci est double parce qu’il y a l’autorité de l’évêque et celle du prêtre. De là, nous pouvons comprendre la distinction du grand exorcisme réservé à l’évêque et au prêtre qui l’exerce en son nom, et du petit exorcisme que peut prononcer le prêtre. La différence entre ces deux exorcismes tient davantage à l’autorité qui s’exerce, qu’au rituel utilisé. Un évêque qui prononcerait le petit exorcisme, celui du pape de Léon XIII par exemple (28), ferait un grand exorcisme tandis qu’un prêtre, non désigné par l’évêque pour ce ministère, qui utiliserait le rituel du grand exorcisme ne ferait qu’un petit exorcisme. Un laïc, par conséquent, ne pourrait prier qu’un petit exorcisme.
L’usage de l’Eglise en ces questions évolue car il y a une prudence qui elle-même s’adapte aux conditions du temps présent. C’est ainsi que le petit exorcisme qui avait été promulgué par le pape Léon XIII à l’usage de tout chrétien, a été retiré de cet usage par le Cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (29). L’exercice de ce ministère n’est pas sans risques. Nous connaissons ce que l’auteur des Actes des Apôtres rapporte au sujet des exorcistes juifs (30). Le petit exorcisme de Léon XIII s’étant répandu très largement dans le monde, a été utilisé par des personnes très peu croyantes qui se sont investies de la charge de désenvouteurs ou d’exorcistes et qui ont subi des traitements comparables aux exorcistes juifs. Il valait mieux retirer cette prière pour éviter d’autres accidents.
Notes:
25 – Jn 17, 2 : « Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que, selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés ».
26 – Lc 4, 32-36.
27 – Cf. p. 57, n. 4 et 5.
28 – Cet exorcisme fut publié en 1922 à Paris avec l’imprimatur du Cardinal Dubois : « Cette prière composée pour mettre le démon en fuite, peut préserver de grands maux la famille et la société si, en particulier, elle est récitée avec ferveur, même par les simples fidèles. On s’en servira, spécialement dans les cas où l’on peut supposer une action du démon, se manifestant : soit par la méchanceté des hommes, soit par des tentations, des maladies, des tempêtes, des calamités de toutes sortes ».
29 – Congregation pour la Doctrine de la Foi, « Exorcismes et réunions de prières », 29 sept. 1985, Documentation Catholique, n° 1912, 16 février 1986, p. 197 : « De ces prescriptions (il s’agit du canon 1172), il s’ensuit qu’il n’est pas même permis aux fidèles d’employer la formule d’exorcisme contre Satan et contre les anges déchus, qui est tirée de la formule publiée par mandat du Souverain Pontife Léon XIII, et encore moins d’employer le texte intégral de cet exorcisme. Les évêques doivent en avertir les fidèles si cela est nécessaire ».
30 – Ac 19, 13-17 : « Or quelques exorcistes juifs ambulants s’essayèrent à prononcer, eux aussi, le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui avaient des esprits mauvais. […] Mais l’esprit mauvais leur répliqua : « Jésus, je le connais, et Paul, je sais qui c’est. Mais vous autres, qui êtes-vous ? » Et se jetant sur eux, l’homme possédé de l’esprit mauvais les maîtrisa les uns et les autres et les malmena si bien que c’est nus et couverts de blessures qu’ils s’échappèrent de cette maison ».
Introduction : La vérité vous rendra libres
Comme chacun sait, la théologie tire ses principes de la Révélation et donc principalement des Ecritures. Or en ce qui concerne l’exorcisme, il y a un paradoxe qui ne peut laisser que dans l’interrogation. Il y a une question que je garde constamment présente à mon esprit lorsque je lis la Parole de Dieu au sujet de l’exorcisme.
Vous le savez, Jésus a pratiqué des exorcismes que les synoptiques nous rapportent. Saint Jean n’en rapporte aucun, c’est là le paradoxe de l’ami de Jésus qui s’intéresse à tout ce que fait son ami et cependant ne rapporte rien à ce sujet, qui pourtant le glorifie. Par contre, il nous donne seulement cette sentence qui tombe sous le sens et qui ne nous apparaît pas au premier abord comme une grande révélation : « La vérité vous rendra libres ». En effet la vérité discerne le faux et donc nous rend libre de l’erreur qui aliène l’intelligence et toute la personne humaine. Mais quel rapport entretient cette libération de l’intelligence et de la personne humaine, qui n’est en général non spécifique de l’agression du démon, avec l’exorcisme? On peut se demander : pourquoi Saint Jean ne rapporte-t-il aucun exorcisme?
Il est bien évident que je laisse de côté toutes les questions exégétiques d’authenticité des paroles de Jésus ou non de Jésus. Je reçois la Parole de Dieu comme inspirée de l’Esprit St donc dans un regard de Foi, que Jésus les ai réellement dites ou non. Elles sont un enseignement de Dieu.
1°) St Jean et le démon :
Nous ne pouvons pas dire que St Jean ne s’intéresse pas à la question. Nous lisons en effet dans l’Apocalypse, plus que dans les synoptiques, toute une théologie du démon. De même dans la première épître, toute une théologie de l’anti-Christ. Ce n’est pas que St Jean n’y croit pas. Il a vu notre Seigneur chasser les démons et tout ce que fait Jésus l’intéresse au plus haut point. Il est impossible que St Jean n’ait pas pensé à la question et comme il n’en parle pas explicitement, c’est qu’il faut être intelligent pour comprendre. Comme l’auteur de l’Apocalypse le dit : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende!»
Ce n’est pas parce que St Jean ne parle pas explicitement de l’exorcisme que celui-ci n’est pas présent dans sa pensée. Mieux, l’Esprit Saint, Auteur principal des Ecritures, veut par là sans doute nous rendre attentif à quelque chose de particulier qui appartient à la Révélation. Il y a des silences qui sont autant révélateurs que beaucoup de paroles.
La première chose à la quelle on peut penser, est que le problème de l’exorcisme est contenu implicitement en un autre enseignement. En effet pour tenir que St Jean ne s’est pas désintéressé de la question et en même temps n’en parle pas explicitement, ne faut-il pas dire qu’il en a parlé de façon discrète comme ce pourrait être le cas ici ? Peut-on comprendre ainsi que la vérité qui libère est aussi la réponse aux agressions du démon qui relèvent de la prière de délivrance?
Mais alors à quoi sert l’exorcisme si la vérité libère? Comment comprendre le lien entre l’exorcisme et la vérité qui libère? Faire la vérité est-il l’exorcisme majeur? Si la vérité libère même d’une agression du démon qui relève de la prière de délivrance ou d’exorcisme, est-il encore nécessaire d’opérer un discernement en vue de l’exorcisme? Mais alors, s’il n’y a plus de discernement à poser, au nom de quoi pratiquer une prière de délivrance?
Cependant, l’Eglise a toujours maintenu la prière d’exorcisme. Serait-ce donc que la prière d’exorcisme ou de délivrance est cette vérité qui libère? En quoi la prière d’exorcisme qui consiste principalement en une injonction faite au démon de lâcher sa prise est-elle la vérité qui libère ? Je pense à ce sujet à l’une des conférences que nous entendrons qui est très significative.
Nous voyons bien qu’une multitude de questions se posent dès lors qu’on admet que St Jean n’est pas étranger à la délivrance et que cependant il reste plus que très discret sur la question…
Que veut nous dire St Jean?
2°) La vérité vous rendra libres
Dans ce passage des Ecritures auquel nous nous référons, Jésus qualifie le démon de deux manières :il est homicide dès le commencement et il est le père du mensonge (Jn8,44). L’homicide n’est pas seulement la mort physique, mais la mort spirituelle. Ce que l’ennemi vise avant tout est la mort spirituelle surnaturelle de l’homme. Il veut que l’homme perde la grâce.
En effet, les juifs qui polémiquent avec Jésus sont fils du diable et le diable a perdu la vie surnaturelle qui le liait à sa fin, Dieu. Il a perdu sa finalité. Il ne peut être le père que de ceux qui perdent leur vie surnaturelle ou qui sont en chemin de la perdre, parce qu’un fils ressemble à son père.
Comment s’y prend-il pour faire perdre la vie surnaturelle ? La vie surnaturelle étant fondée sur la Foi, qui adhère à la Vérité qui nous est révélée, c’est par le mensonge qui est contraire à la Foi que le démon peut faire perdre la vie surnaturelle. Ainsi, en étant père du mensonge, il se fait le père de ceux qui perdent la vie surnaturelle ou sont en chemin de la perdre. Nous comprenons pourquoi le démon est père: il communique à ses fils son esprit de mensonge pour que ses fils lui ressemblent.
Ayant perdu sa finalité, le démon ignore tout ce qui concerne la finalité. L’orgueil de l’intelligence fait que tout ce qu’elle ne saisit pas, elle le considère comme non existant, elle le méprise en le niant. N’est-ce pas le gros mensonge de faire croire à l’homme que la finalité n’existe pas? Un mensonge tel qu’il conduit à la perte de la grâce. Voulant ignorer Dieu et le Christ qui conduit à Dieu, l’homme sous l’influence du démon perd ce lien personnel avec son vrai Père.
Du coup, « La Vérité vous rendra libres » éclaire ce que peut être le conte-poison au démon. Demeurer dans la vérité, c’est s’assurer de ne pas s’engager dans une voie de perdition. Mais de quelle vérité s’agit-il ?
3°) La vérité qui libère
La première chose à noter et que l’on peut tout de suite déduire à partir de ce texte de St Jean, c’est que l’accent est mis sur la réponse au péché qui est l’un des péchés les plus graves selon 1Jn, car il s’agit de nier que le Christ est Dieu: c’est le péché de l’anti-Christ. L’Evangile de St Jean s’intéresse avant tout à l’essentiel, à la finalité, c’est-à-dire en ce qui concerne l’homme, sa prédestination. Ce qui s’oppose le plus à la prédestination de l’homme, à son salut c’est le péché et non pas les agressions du démon qui relèvent de la prière de délivrance.
Là, l’expérience est éclairante: une personne peut être possédée par le démon sans que son salut ne soit en cause. Cela ne signifie pas qu’il faille relativiser la possession ou tout autre agression du démon. Il arrive dans l’expérience qu’une personne possédée se convertisse et veuille être libérée. Comment cela est-il possible si la possession se situe au même niveau que le péché mortel actuel? Celui qui veut être libéré d’une possession démoniaque est en chemin vers le Christ et son salut est moins mis en cause que pour celui qui n’est ni possédé ni infesté mais qui est en état de péché mortel. Quelqu’un qui meure en état de possession démoniaque, mais qui veut être libéré du démon sera sauvé. Celui qui n’est ni possédé, ni infesté, mais en état de péché mortel ne sera pas sauvé. C’est pourquoi il y a un sacrement pour le péché, i.e. une efficacité gratuite donnée par Dieu pour libérer du péché qui empêche le salut, tandis qu’il n’y a pas de sacrement pour libérer du démon. L’exorcisme est un sacramental, il nécessite pour être efficace la coopération de l’exorcisé et donc une conversion.
Comment expliquer que le péché et l’agression du démon qui relève d’une prière délivrance, ne soit pas au même niveau ? Le péché est un acte volontaire, c’est donc un acte de l’esprit. Une possession est un acte du démon dont la cause peut-être un acte de l’esprit humain, mais pas forcément. De plus l’agression du démon, son action ne peut pas se situer au plan de l’âme spirituelle car celle-ci est liée à la présence du Créateur, au point que le démon ne peut y avoir accès. Si bien que toute agression du démon ne touche pas l’âme spirituelle. Seul Dieu et l’homme ont accès à l’âme spirituelle, pas le démon. Seul l’homme peut donc se damner, pas le démon. Le démon, même dans une possession ne peut agir sur l’âme spirituelle que par mode indirect d’influence ou plus précisément en entravant l’exercice des facultés de l’esprit.
Le premier discernement que l’on peut donc tirer de St Jean est la différence qu’il faut faire entre ce qui s’oppose directement au salut, le péché et ce qui s’y oppose indirectement, ces agressions du démon qui relèvent de la prière de délivrance.
Là, il faut sans doute être attentif à la notion de vérité chez St Jean. Cette vérité est analogique chez lui. Elle a plusieurs significations. Elle est aussi bien la vérité qu’est Dieu Lui-même (Je suis le chemin, la vérité et la vie), que la vérité de Foi (Dieu personne ne l’a jamais vu, le Fils Unique qui est dans le sein du Père, Lui nous l’a fait connaître), que la vérité que l’on fait (Si nous disons que nous sommes en communion avec Lui alors que nous marchons dans les ténèbres, nous mentons, nous ne faisons pas la vérité, 1jn1,6). C’est sans doute ce troisième sens de la vérité qui nous éclairera au mieux.
Que Dieu vérité libère, c’est le sens de l’annonce évangélique. Que la vérité de Foi libère, c’est bien le sens des paroles de Jésus dans ce passage de l’Evangile de St Jean : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libèrera ».
La vérité que l’on fait est immédiatement conséquente à la précédente ( la vérité de Foi) car être en communion avec Lui (faire la vérité selon 1Jn1,6), c’est garder sa parole, donc marcher dans la lumière. Faire la vérité, c’est dépister le décalage entre la communion avec le Christ, (garder sa parole), et marcher dans les ténèbres.
St Jean parle de la lumière et des ténèbres qui constitue une distinction prise immédiatement du caractère métaphysique de Dieu. En effet dans le Prologue de l’Evangile, nous trouvons : « Le Verbe est la Lumière véritable qui éclaire tout homme en venant dans le monde ». Ailleurs nous trouvons : « Dieu est Lumière, il n’y a pas de ténèbres en Lui ». La lumière est le mystère même de l’Etre divin. Il faut garder cet aspect métaphysique de la lumière pour ne pas la réduire à l’aspect moral des choses.
Nous sommes enfants de Dieu par la Foi, c’est-à-dire enfants de lumière. Le démon veut être notre père en nous faisant marcher dans les ténèbres. Être enfants de lumière dans la Foi ne se réduit pas à l’aspect moral de l’agir en conformité avec la Foi. Plus profondément, l’agir conforme à la Foi rectifie profondément l’homme dans sa personne, dans son aspect existentiel. L’agir conforme à la Foi ré-ordonne l’homme en lui-même, il devient lumière.
Les sacrements sont des signes sensibles qui nous montrent cette volonté divine, ce dessein de Dieu sur l’homme de le ré-orienter vers sa fin en prenant en compte jusque sa sensibilité, son conditionnement humain. Par des actes répétés vers sa fin, l’homme ré-ordonne toute sa personne vers sa fin. En fin de compte c’est son être personnel qui est ré-ordonné vers sa fin. Il est enfant de lumière. C’est bien un aspect métaphysique de l’homme qui est touché. Ceci est très important en ce qui concerne l’action démoniaque sur l’homme.
4°) La vérité lumière de l’homme
Ordinairement, on parle de faire la vérité pour l’accompagnement spirituel. L’expression de marcher dans la lumière est ici significative. On marche grâce à une lumière extérieure qui nous éclaire. Est-ce à dire que l’accompagnement spirituel est suffisant pour déjouer les agressions du démon et pour libérer de ces agressions?
L’expérience ne nous montre-t-elle pas des personnes profondément chrétiennes ayant un père spirituel et cependant agressées par le démon non pas par de simples tentations ? Comment se fait-il que certaines personnes vivant chrétiennement, accompagnées spirituellement peuvent subir des agressions démoniaques jusqu’à la possession, mis à part les permissions spéciales de Dieu qui relèvent du charisme ? Inversement, comment se fait-il que certaines personnes non chrétiennes visées par la sorcellerie ou par des pratiques magiques ne soient pas atteintes par le démon?
Ces expériences toutes simples et communes à tous ceux qui sont dans le ministère de délivrance aident à comprendre que dans ces cas là, la vérité qui protège des agressions du démon n’est pas d’abord la vérité de Foi. En effet, un croyant peut être atteint par le démon, la Foi ne l’a pas protégé. Non pas que la Foi ne protège pas du démon, mais dans certains cas, elle ne protège pas entièrement. La Foi sauve dit St Paul, parce qu’elle justifie. En ce sens elle libère du démon quant à la prédestination de l’homme, mais elle ne libère pas forcément quant à sa vie terrestre et quant à sa personne.
Nous avons dit que le démon a perdu sa finalité. Il ignore donc tout ce qui touche à la finalité des créatures parce que c’est la même finalité : Dieu. Si l’homme s’écarte de sa fin, il devient connu du démon et peut être la proie de ses sévices. Tant que l’homme demeure dans sa fin surnaturelle, il est inconnu du démon. C’est pourquoi le démon ne peut rien faire contre la vie surnaturelle, parce qu’il ne la connaît pas ou plus. Il en va de même de la vie naturelle. Si celle-ci est finalisée, il la méconnaît. Dès lors qu’elle n’est plus finalisée, il la connaît et peut l’atteindre.
Comment se fait-il que le démon qui est si puissant, si l’on en croit le chapitre 12 du livre de l’apocalypse, n’agisse pas plus sur la nature ? C’est que la nature est finalisée, elle a une inclination naturelle vers sa fin, sauf dans certains cas où des dispositions mauvaises empêchent l’inclination vers la fin. L’homme peut intervenir de façon si violente sur la nature qu’il peut créer des dispositions mauvaises qui seront autant de voies d’accès au démon pour secouer notre bonne vieille terre!
C’est ainsi qu’un homme non chrétien qui vit d’une finalité naturelle, par exemple une amitié, ne sera pas atteint par le démon dans la mesure où cette fin s’empare de toute sa vie. Réciproquement, un chrétien qui vit de sa fin surnaturelle alors même que celle-ci ne possède pas entièrement sa vie au point que beaucoup de ses actes de vie naturelle ne sont pas finalisés, pourra être atteint par l’adversaire.
Comme tout être spirituel créé, le démon n’agit que sur ce qu’il connaît, c’est-à-dire sur ce qui n’est pas finalisé. Le démon peut donc agir et intervenir sur un être humain présentant des dispositions non finalisées, même si par ailleurs cet être humain est finalisé. Ce ne sont donc pas seulement les actes humains, l’agir humain, (qui serait contraire à la morale) qui donnerait au démon la possibilité d’agir, d’agresser. C’est déjà à partir d’une disposition, d’un état non finalisé que le démon peut agir. Nous en verrons un exemple dans un cas très répandu aujourd’hui : la médiumnité. Nous comprenons aussi pourquoi le démon peut se servir de la généalogie pour toucher les personnes. Quand une personne a une ascendance très chargée, elle a récupéré des dispositions mauvaises par hérédité et même si elle est bonne chrétienne, fervente de bonne intention, le démon peut l’atteindre.
Il y aurait là sans doute beaucoup de choses à dire car tout le mouvement new âge crée dans les personnes ces dispositions mauvaises qui sont de véritables portes ouvertes au démon.
5°) Le discernement théologique
Tout d’abord, il faut bien considérer ce qu’est un discernement théologique et ne pas attendre de celui-ci ce qu’il ne peut pas donner. Il y a en effet un discernement pratique sur une personne donnée et le discernement théologique. Le discernement pratique s’appuie sur le discernement théologique comme fondement, mais tient compte de la personne concrète sur lequel le discernement pratique doit se porter. Exemple : Le discernement théologique au sujet du baptême conféré par un non chrétien dans des circonstances exceptionnelles, est que le ministre ait l’intention de faire ce que fait l’Eglise. Maintenant, si le cas se produit, est-ce que le ministre a conféré validement le baptême, on ne peut le savoir. En effet, avoir l’intention de faire ce que fait l’Eglise est un acte intérieur que seul Dieu peut juger. On peut seulement dire que si le ministre a rempli les conditions, le baptême est validement conféré. Le discernement pratique va s’appuyer sur la connaissance concrète de la personne. Si le ministre est inconnu, on ne pourra pas poser ce discernement pratique.
Lorsqu’il s’agit de discerner la finalité d’une personne humaine, on peut donner un discernement théologique, mais le discernement pratique requiert la connaissance de la personne. En effet, la finalité est éminemment personnelle et spirituelle. Si la réalité qui finalise l’homme est connue, il n’en va pas de même de savoir jusqu’où en vit l’homme, jusqu’où celui-ci est-il finalisé par cette réalité. C’est pourquoi, le genre de discernement que nous avons à poser nécessite un accompagnement spirituel. C’est un peu la quadrature du cercle, car ceux qui nous consultent ne sont pas ceux que nous accompagnons. En tous cas il est bon de demander si la personne qui nous consulte a un père spirituel que nous pourrons nous-même consulter, ce qui est rarement le cas ! Je crois que dans les circonstances exceptionnelles où nous nous trouvons, l’Esprit Saint aide beaucoup, mais cela ne nous dispense pas de prendre les moyens que nous connaissons.
Je pose une hypothèse de recherche et je me demande si le discernement n’est pas dans la distinction de la nature et de la personne. L’homme a une nature humaine qu’il est appelé à développer. Lorsqu’il développe sa nature humaine dans le sens de sa finalité, il devient une personne humaine. La personne humaine peut être regardée de deux façons : l’une du côté formel où nous disons que la personne est composée d’âme et de corps, c’est la structure de la personne. L’autre est le point de vue de la finalité où l’homme est une personne en puissance.
Dans cette hypothèse, cela nous pouvons dire que le démon ne peut pas agresser la personne humaine que celle-ci soit chrétienne ou non. Par contre, il peut agresser la nature humaine non finalisée.
6°) Quelques conséquences de ce discernement
L’oeuvre de Dieu est que nous croyons en celui qu’Il a envoyé (Cf. Jn6,29), mais d’une Foi divine qui s’empare de toute notre personne, faisant de nous des enfants de Dieu, des fils de la lumière et non une Foi purement formelle. L’oeuvre du démon est d’empêcher la nature humaine de se développer dans le sens de la finalité, afin que si la Foi est présente, elle demeure purement abstraite. Son oeuvre consiste également à atteindre l’homme dans sa nature humaine, afin celle-ci ne réponde plus aux désirs de l’âme et que l’homme désespère en étant conduit soit au suicide, soit au désespoir qui fait perdre l’Espérance théologale et la Charité.
Comment la nature humaine peut-elle être empêchée de grandir dans le sens de sa finalité?
Au plan politique au sens philosophique du terme, c’est-à-dire au plan communautaire, social, l’état a un rôle particulier à jouer. Normalement il ne s’occupe pas des personnes sauf par accident à travers les individus, car la finalité est personnelle et l’état n’a aucun droit sur la finalité personnelle. Son rôle est au contraire de favoriser le développement de la nature humaine dans le sens de la finalité. Lorsque l’état, délibérément, empêche la nature humaine de se développer dans le sens d’une finalité personnelle, il fait l’oeuvre de l’ennemi. Par exemple, sous prétexte de laïcité, refuser la dimension religieuse de l’homme, c’est s’opposer de la façon la plus nette et la plus cachée (c’est-à-dire sous prétexte de non-confessionalisme et de tolérance) au développement de l’homme en personne humaine. C’est donc favoriser la création de portes ouvertes au démon.
La culture est le milieu de vie de l’homme. C’est dire l’importance de la culture dans le développement de la nature humaine ! Si la culture ne porte en elle aucune trace de la finalité, elle empêche le développement de la personne humaine. Ainsi une culture scientifique qui exalte l’intelligence humaine et l’empêche de découvrir ce qui la dépasse et peut la finaliser, sera propice au démon.
Un autre aspect me semble important aujourd’hui et de plus en plus. La nature humaine est en partie ce qui se transmet de génération en génération alors que la personne humaine est l’oeuvre de l’homme. Une nature humaine abîmée par des péchés nombreux et graves ne peut transmettre par génération qu’un nature humaine abîmée. Les péchés graves répétés crèent des dispositions mauvaises dans la nature humaine qui se transmettent de génération en génération et qui sont de véritables portes ouvertes au démon. Ici, il ne s’agit pas seulement de l’aspect moral. Celui qui hérite par génération d’une nature abîmée peut très bien avoir une vie très morale et être agressé par le démon car son être est empêché de se développer en personne humaine. Je vais donner un exemple classique ou l’on voit bien l’aspect plus métaphysique que moral dans le cas d’une possession démoniaque.
Je vous disais que la possession n’était pas forcément due à un acte peccamineux du possédé. En effet, une présence démoniaque, angélique se fait par mode d’action. Le démon est présent en tant qu’il agit sur quelqu’un. Pour pouvoir agir il lui faut des dispositions qui lui ouvrent la porte car il craint ce qui est lié à Dieu par l’acte créateur. Ainsi, une personne qui se mettrait en dépendance d’une autre possédée par le démon, crèe cette disposition qui permettra au démon d’agir. Cela peut aller très loin car certaine dépendance sont naturelles comme celle du bébé à l’égard de ses parents. J’ai eu ainsi le cas d’une femme possédée par le démon parce que son père, sataniste, l’avait consacrée au démon à sa naissance. Elle était donc possédée dès sa naissance.
De même, ce qui abîme la nature humaine de façon générale, comme les blessures de l’enfance, la drogue etc… crèent des dispositions mauvaises dont le démon peut se servir pour agresser l’homme.
Il serait intéressant de chercher dans ce que nous connaissons par l’expérience : blessures de l’enfance, arbre généalogique malade, etc… ce qui, dans la nature humaine est atteint pour découvrir le remède afin d’aider plus efficacement les personnes. Par exemple, il est certain que ce qu’on appelle la mémoire du corps quand on parle des blessures de l’enfance, n’est pas du tout cellulaire ou biologique mais intellectuel. Par contre l’hérédité peut porter une mémoire du corps biologique.
On pourrait réciproquement, découvrir les anomalies du développement de la nature humaine en prenant chacune de ses facultés de cette nature et discerner les lieux propices aux attaques du démon. L’intelligence humaine qui ne se développerait jamais dans une recherche de vérité, mais qui demeurerait dans l’immanence de son fonctionnement, en ne se dépassant jamais, pourrait bien engendrer des dispositions mauvaises parce que contraire à sa nature faite pour l’amour, c’est-à-dire pour l’autre.
En tout état de causes, il est certain que ce qui peut enlever les dispositions mauvaises acquises ou héritées par génération, libèrera du démon. Or il me semble justement, étant donné la contexture de l’homme que l’intelligence a un rôle particulier à jouer sur la formation de la personne humaine. Il serait sans doute trop long d’élaborer une anthropologie humaine, mais l’intelligence est une clef dans ce domaine là. La finalité n’est atteinte concrètement que par la volonté. Il faut bien alors que l’intelligence découvre et adhère à cette fin. C’est bien l’intelligence qui oriente la nature humaine vers ce qui peut devenir une personne ou non.
N’est-ce pas là la clef que nous donne St Jean : « La vérité vous rendra libres. »
Conclusion
Ce discernement théologique de la nature et de la personne permet d’aborder le mystère de l’homme sous un aspect où nous comprenons le domaine intouchable de la personne humaine par le démon et ce qui peut être atteint par lui. Faire la vérité est alors s’engager dans un développement de la nature humaine vers sa fin. N’est-ce pas là, la vérité qui libère ? La vérité libère au sens très général de libérer, mais dans le domaine qui est le nôtre, du moins dans le ministère qui est le nôtre, la recherche de la vérité développe la nature en personne et libère au sens précis. D’autre part, rechercher la vérité sur ce qui entrave le développement de la nature humaine en personne permet de discerner le travail de libération qu’il y a à accomplir.
En fin de compte et pour résumer les choses de façon un peu technique, on pourrait dire que le discernement fondamental porte sur la nature humaine et le discernement ultime porte sur la personne humaine. En réalité, il s’agit d’un discernement sur la personne humaine car la nature n’est pas séparée de la personne mais celle-ci l’intègre. Le démon ne peut pas toucher la personne, car celle-ci implique la finalité. Par contre il peut atteindre la nature humaine non ou peu finalisée et par là toucher la personne indirectement. On voit bien que ce discernement quand aux agressions du démon n’est pas seulement moral mais j’allais dire métaphysique à travers l’anthropologie humaine qu’il déploie. C’est donc que ce discernement n’est pas premièrement chrétien. Il est humain. C’est pourquoi St Jean parle de la vérité qui libère car celle-ci est aussi bien chrétienne qu’humaine.
D’autre part, il est important de prendre en compte que par là St Jean fait glisser le discernement des effets à la cause. Quand vous rapportez l’exercice de l’exorcisme, vous voyez les effets c’est-à-dire la libération donc la disparition des symptômes. La cause principale, le démon disparaît également, mais ce qui lui a permis d’agresser peut rester caché. Par contre rien n’échappe à la vérité car elle est lumière. Ce qui fut en Lui était la Lumière et la Lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.